Le temps

(limité) de militer.

Marie-Clarisse Berger

J’ai quitté l’école en avril 2022, un peu avant ma fin de session.

Le cœur lourd, les yeux pleins d’eau et les mains tournés vers le ciel, j’ai imploré ma faculté de me laisser prendre une pause.

Ma santé mentale me lâchait pour plusieurs raisons… Je devais me mettre sur pause pour réfléchir.

J’ai eu la certitude que je voulais faire du droit lorsque j’ai participé à la COP25 à Madrid en décembre 2019. Un de mes amis finissait son parcours à UdeS et il m’inspirait. Il m’inspire toujours d’ailleurs, par sa fougue militante et ses idéaux.

Je trouvais que pour défendre l’environnement adéquatement il fallait que je passe par une formation solide en droit et que j’en fasse mon cheval de bataille devant les tribunaux.

Mais comment protège-t ’-on le territoire et les animaux, qu’on considère souvent comme des biens jetables? Les animaux ne sont pas des biens, mais devant la loi ils se doivent d’être traités de la sorte. La planète héberge tout ce qu’il y a de magnifique en passant par les êtres microscopiques aux bélugas qui nagent devant chez moi, dans le Bas-St-Laurent et nous la traitons comme si elle était un vulgaire bac de poubelle. Comment arrêtons-nous le racisme environnemental lorsque notre gouvernement ne reconnaît même pas le racisme systémique qui chapeaute les oppressions climatiques que les personnes racisées vivent ici même, au Québec? Comment plaidons-nous l’évidence devant un monde qui rame à contre-courant du gros bon sens?

J’ai reçu une offre d’admission en mars ou avril 2020 de la faculté de droit de l’Université de Sherbrooke (Jean-Phillipe Baril-Guérard dirait peut-être que c’est le 2e dépotoir de l’humanité après celui de la faculté de droit d’UdeM, qui sait?). J’hésitais. Ce n’était pas un coup de cœur.

C’était en pleine pandémie, il y a déjà presque trois ans. À l’époque je consultais une orienteuse. Elle a trouvé une maîtrise en droit, développement durable et sécurité alimentaire qui requérait le baccalauréat en droit pour entrer.

Le rêve. Ça m’allumait vraiment.

Je devais donc quitter Montréal et la science politique si je voulais y entrer… et débuter mon bacc en droit.

Panique totale.

Je venais de refuser l’offre d’admission d’UdeS.

J’ai écrit des courriels à la faculté pour retrouver ma place. On m’a mise sur la liste d’attente et c’est là que j’ai su que je voulais vraiment étudier en droit.

Près de trois ans plus tard, j’ai un goût amer en bouche en repensant à mon bacc. On ne m’a jamais appris comment défendre les opprimés et la planète. Je l’ai appris dans les livres, dans une clinique juridique et on me dit que le reste je vais l’apprendre sur le marché du travail.

L’affaire, c’est que comme beaucoup de métiers, le travail d’avocate sert à réparer des torts causés, des préjudices et rarement à les prévenir. On nous apprend à défendre des principes de droit une fois le mal fait.

Mais comment éviter le mal initial, ça on le passe sous silence.

C’est cette inertie acceptée et normalisée qui m’offusque. Un aplaventrisme général, une mascarade organisée, un freak show dont je fais partie qui me donne des haut-le-coeur alors que j’ai l’audace de prétendre faire avancer le monde en étudiant en droit.

Alors, pourquoi étudier le droit si tout ce que je peux faire pour la planète c’est de réparer la négligence des hauts dirigeants?

Pourquoi étudier le droit de l’environnement quand ce domaine consiste majoritairement à aider les pollueurs à passer entre les mailles du filet?

Pourquoi défendre la jeunesse canadienne quand les tribunaux ne lui reconnaissent même pas le droit à un avenir sain et viable?

J’ai quitté l’école en ayant une peur bleue de devenir moins intelligente et de perdre des connaissances. J’ai quitté l’école presque en catimini parce que j’avais honte de ne pas suivre une voie traditionnelle, de ne pas cadrer encore dans un moule, de ne pas devenir une vraie adulte.

Aujourd’hui, j’ai la certitude d’être autant intelligente que lorsque je recrachais des articles de mon Code civil dans mes examens il y a un an.

J’ai aussi la certitude que le système scolaire a besoin d’une restructuration profonde pour aligner les valeurs progressistes qui grondent dans les rues avec ses enseignements mésadaptés à notre réalité.

J’ai aussi la certitude de savoir quelles causes m’allument depuis mon primaire, depuis que je gosse mes parents d’aider les ours polaires en éteignant leur moteur avant de partir le matin, depuis toujours en fait.

J’ai quitté l’école pour ma santé mentale.

J’ai quitté l’école pour militer et entamer une réflexion profonde sur la crise climatique.

Sur ce que je peux faire, sur comment je peux encourager sans juger d’autres gens à se battre pour une cause qui me dépasse, que je comprends bien et mal en même temps, qui m’habite depuis toujours et qui me hantera à jamais.

J’ai quitté l’école pour m’éduquer.

J’ai quitté l'école par amour des autres.

J’ai quitté l’école pour me révolter.